Dans un musée des Beaux-Arts, quelque part en France, les visiteurs peuvent découvrir, confrontée aux peintures anciennes, une oeuvre d’art contemporain, constituée d’une série de mannequins dressés verticalement, allongés sur le sol, ou bien assis sur les banquettes.
Les deux rappeurs encapuchonnés, dont on devine le walkman enfoncé profondément dans les orifices auriculaires et la bombe à tags dans la poche, ne sont pas des personnes réelles… N’empêche, leur présence en ces lieux d’art sérieux et respectable, aussi fausse soit-elle, reste terriblement incongrue et pose nombre d’interrogations de divers ordres :
Questions immédiates: Qu’est-ce? Est-là de l’art mon bon monsieur? C’est quoi cette embrouille des genres? Que va en penser mon beau-frère, lui qui n’aime pas les mélanges?
Questions de fond : L’ idée qui préside à cette mise en oeuvre, est-elle de provoquer un choc – de type phosphène – sur l’oeil des visiteurs, pour les destabiliser, pour remettre en question leur posture de regardeurs de la peinture classique, pour leur faire prendre conscience de la relativité historique des choses, pour subvertir leur être au monde, pour leur signifier que les tragédies sociales actuelles ont aussi une dimension esthétique et que les chants désespérés sont les chants les plus beaux ?
Question de genèse : L’idée est-elle celle d’un jeune diplômé – avec mention bien sûr – de quelque école nationale des Beaux-Arts, qui l’a proposée à quelque conservateur de Musée, qui l’a acceptée avec enthousiasme en disant : “ voilà qui est très fort et éminemment intéressant, voilà du sociologique profond, voilà de la corrosive analyse institutionnelle, voilà de l’in situ comme on aime entre nous, voilà qui fera chroniquer très fort les chroniqueurs d’art et ainsi attirera un gros public avide de grosses sensations dans mon musée.”?
Questions plus accessoires : A-t-on le droit de toucher ces mannequins, de les caresser, de leur parler, de s’asseoir à côté d’eux? Est-ce que leur présence a favorisé l’attention et le regard portés aux peintures ? Le public, a-t-il été plus nombreux? Qu’en pense-t-il? Qu’en disent les gardiens? Qu’en pensent les scolaires ? Y a – t-il des visites organisées et commentées? Combien cela a couté ? Quel montage financier pour l’opération? Quelle a été la rémunération de l’artiste ? Qui a préfacé l’expo? A-t-on bien évalué le retour sur investissement sous ses divers aspects? Y a-t-il eu un vernissage ? Monsieur le Député ou Monsieur le Ministre étaient-ils là ? Les jeunes des quartiers défavorisés étaient-ils présents aussi?
Question banco : Et quel a bien pu être leur commentaire… ?