L’œuvre d’un peintre majeur de la deuxième Ecole de Paris est devenue inaccessible au public. Ce qui devrait faire scandale, ne soulève qu’indifférence de la part de l’actuel Ministère de la Culture, des médias et des milieux de l’art, malgré les inquiétudes manifestées par l’ancien ministre Jack Lang. Prassinos est mort pour la deuxième fois.
Mario Prassinos (1916-1985) est devenu, après 1945, un artiste majeur de la deuxième Ecole de Paris. Universellement salué et reconnu de son vivant, son œuvre incontournable élaboré aux limites de la figuration était jadis placé au même rang que celui de ses contemporains et amis Alberto Magnelli ou Hans Hartung … Mais, trente ans après sa disparition l' importante donation qu'il avait faite en 1985 à l’État français, n'est plus accessible au public.
La Donation Mario Prassinos, présentée depuis 1985 à Saint Rémy de Provence dans la Chapelle Notre-Dame de Pitié, est désormais conservée dans les réserves du FNAC (Paris – La Défense) après son éviction en 2010 du lieux pour lequel elle avait pourtant été conçue. Parmi les 108 pièces léguées, qui toutes témoignent du caractère protéiforme de son œuvre, l'artiste avait créé pour la Chapelle et comme un testament, une suite monumentale de onze peintures à l'huile sur papier Arches, marouflées sur toiles, Les Peintures du Supplice. Il y travailla du 1er février au 13 octobre 1985 et mourut dix jours plus tard. Cela devait être rappelé pour souligner que la vie et l’œuvre de Prassinos étaient naturellement liées à la ferveur sacrée qui émane de la chapelle.
Prassinos vécut dans le village d'Eygalières, au cœur des Alpilles, de son installation, en 1951, à sa mort. Le caractère universel de l'œuvre est en harmonie avec son enracinement dans cette terre provençale dont il avait fait sa deuxième patrie. D'origine grecque, né à Istanbul en 1916 et naturalisé français en 1949, il a vécu son enfance dans le déracinement de l'exil et la grisaille de la banlieue parisienne avant de se sentir renouer enfin, après son installation à Eygalières, avec son milieu originel, méditerranéen. Il poursuivit le dialogue avec la colline d'Eygalières trente-cinq ans durant, et immortalisa ses Alpilles en de nombreuses œuvres universellement connues. L'installation de la donation à Saint Rémy de Provence, capitale des Alpilles, allait de soi. L'en évincer est une trahison de la parole donnée.
Tout avait pourtant bien commencé. La donation avait en 1985 été reçue et inaugurée par Jack Lang, alors ministre de la Culture de François Mitterrand, et il semblait certain que la mémoire de cet œuvre serait protégée des aléas du temps et des hommes.
Silence médiatique
Hélas ! Trente ans après son inauguration, tout semble remis en cause, comme si les institutions culturelles françaises laissaient effacer de nos mémoires un pan d'histoire de l'art moderne et contemporain. Cet article, qui devait originellement être centré sur l’œuvre 2, s'est donc transformé en une protestation et interrogation sur les causes d’un désastre annoncé.
Il faut dire que ce scandaleux abandon se poursuit depuis 2010 dans un total silence médiatique. Qui ne dit mot, consent! Tandis que je cherchais à me documenter, je n'ai trouvé que ces quelques rares informations publiées sur Le site de la Donation 3 réalisé à l'initiative d'amis et amateurs de l’œuvre, à savoir:
– La pétition du «comité de soutien de la Donation Mario Prassinos»;
– La lettre de Jack Lang à Madame Filippetti, alors ministre de la Culture, datée du 16 mai 2013 et apparemment restée sans réponse.
Dans cette missive, Jack Lang argumentait ainsi : Les clauses de cette donation font obligation à l’État de déposer ces œuvres de manière pérenne dans un lieu qui a été jusqu’à une date récente la chapelle Notre Dame de Pitié à Saint Rémy de Provence. Depuis 2012, l’État a mis fin à ce dépôt de manière unilatérale et l’héritière de l’artiste, Catherine Prassinos, multiplie les démarches sans obtenir de réponse… Je crains que l’affaire n’entre dans le domaine contentieux. Il serait paradoxal qu’après plus de vingt ans de présentation au public, l’œuvre de Mario Prassinos soit occultée, voir même qu’elle retourne entre les mains de ses héritiers privant les collections de l’État des œuvres d’un artiste important».
Les œuvres constituant la Donation sont la propriété du FNAC (Fond National d'Art Contemporain). De ce fait, elles sont réputées inaliénables. Mais si les craintes de Jack Lang devaient se confirmer, ce qui est aujourd'hui juridiquement inconcevable pourrait devenir possible demain… L'aliénation d'un bien national (ici le retour entre les mains des héritiers) constituerait alors un précédent inacceptable; un grand pas juridique serait franchis vers la marchandisation et la possible vente à la découpe des collections publiques françaises!
La pétition accuse : Le Ministère de la Culture, les autorités régionales et locales ont contribué, de 2000 à 2010, en dix années d'une gestion déplorable en contradiction avec l'esprit et la lettre de cette donation faite par l'artiste en 1985 à l'Etat français, à la dispersion de la collection, à la dissolution de l'association Donation Mario Prassinos, à la fermeture de la chapelle N.-D. de Pitié à Saint-Rémy de Provence qui accueillait les Peintures du Supplice.
Qui sont les responsables d'une gabegie si manifestement contraire aux intérêts matériels et moraux du patrimoine culturel national, de l’Archidiocèse d'Aix et de la Ville de Saint-Rémy?
Rappelons qu'en France, depuis la loi de séparation des églises et de l'Etat (1905), c'est à ce dernier qu’échoit la charge financière de l'entretien des lieux de cultes dont il est propriétaire tandis que les diocèses en conservent l'entière jouissance1.
Le caractère sacré voulu par Mario Prassinos pour ses onze Peintures du Supplice ne pouvait émouvoir la hiérarchie ecclésiastique. Celle-ci est d'ailleurs depuis longtemps accoutumée aux provocations, bien plus dérangeantes, qui sont devenues le lot commun et un élément moteur des nombreux événements estampillés Art Contemporain qui ont cours dans ses lieux de culte. Innombrables sont les installations et événements, imposés par les Directions Régionales des Affaires Culturelles (DRAC) dans les églises comme dans les musées. Ces événements accaparent l'espace médiatique, et il est tout a fait certain que la hiérarchie ecclésiastique tire profit de ces échanges, spirituellement si douteux.
Pingrerie destructrice
Une autre hypothèse s'impose donc: L'entretien de la Chapelle et sa mise aux norme pour l'accueil du public sont de longue date réputées être un gouffre financier. Or en période de crise, d'austérité et de restrictions budgétaires, on imagine aisément que le Ministère de la Culture ait choisi de couper les budgets d'entretien et de fonctionnement de la donation Prassinos et de la Chapelle qui l'accueillait.
Et cette raison bien matérielle et financière se cumule parfaitement au peu d’intérêt manifesté par les représentants du Ministère de la Culture pour tout ce qui n'est pas estampillé par eux Art Contemporain. Or, de ce point de vue Mario Prassinos et tous les artistes qui ont fait la réputation de cette deuxième École de Paris sont hors leur champ visuel…
Sur le plan local, quel est le résultat de cette gabegie? Il n'y a plus eu, depuis 2010, dans la Chapelle Notre-Dame-de-Pitié, le moindre événement artistique d'une quelconque ampleur, comparable au rayonnement passé de la Donation Prassinos. Rien ! Et ce vide souligne plus encore l'assourdissant silence médiatique qui accompagne l'entreprise de démolition mémorielle du grand artiste qu'était Mario Prassinos…
Et quant au monde de l'art? Il partage avec le Ministère de la Culture et la plupart des médias cette faculté de détourner le regard de ce qu'il ne veut pas voir. Il regarde le doigt tandis que le sage lui montre la lune.
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