Un texte de J-P Gavard-Perret (écrivain et critique d'art, lecteur d'Artension) écrit à l'issue d'une visite de l'exposition Joanna Maslejak « Récits » à la Galerue Ruffieux Bril, 30 rue Basse du Château à Chambéry (du 15 mai au 30 juin)
A l’espace balisé qu’est que le « cadre » de la toile Joanna Maslejak impose un geste original qui fait d’elle une des artistes en devenir non seulement de la scène polonaise mais internationale. Adepte de la technique mixte sa peinture est à la fois symbolique ou narrative comme le prouve les titres de ses toiles. « L’espérance », « La crainte », « La promesse » pour illustrer le premier terme. « Récit » ou « paysage avec le bon samaritain » pour le second.
Néanmoins de tels termes recouvrent mal la puissance de l’œuvre qui touche à un plaisir certain comme parfois à l’angoisse puisque nos certitudes se voient interpellées par une peinture aux techniques mixtes. Les coulures qui parfois traversent les toiles déploie un déroulement particulier : traits et couleurs s’interrompent et reprennent afin que le souffle des formes ne cesse de surgir avec des éléments rapportés subtilement (dessins ou photos) et qui plutôt de créer une interruption introduisent un rapprochement avec une forme d’intimité. Chaque toile débouche vers une autre spatialité afin que de tels éléments soient renvoyés vers nous.
La surface est ainsi expropriée de la loi classique qui la requiert. Entre le réel trivial et la poésie pure, Joanna Maslejak introduit des formes de fétiches : c’est une manière de faire jouer la peinture loin d’un simple exercice de style et de laisser de surgir une réalité plus « expresse ». Entre le symbolique et l’abstraction l’artiste propose un traitement alchimique, avénermentiel.
Acceptant la " déchirure " de l'image l’artiste s'inscrit dans la prédiction mallarméenne qui donne à l'art tout son sens : " rien n'aura lieu que le lieu ". Cassant le chaos par ses pans et caboches chaque œuvre est habitée d’un moment de foudre. Les formes et les couleurs n’imposent pas la fixité mais serre de près une attente – ce qui est bien différent. Mais en même temps cheque œuvre arrache à l’absence par la fascination de sa présence.
Emane de la toile à la fois le calme et le mouvement. Les formes fragiles et dures, incertaines et pures érigent un espace très particulier et rarement visible dans la peinture contemporaine. Le regard s'y perd, s'y dilue, y cherche sa voie. Il est frappé du sceau du réel et de l’irréel, de la figuration comme de l’abstraction. Une telle œuvre impose le silence. On pourrait dire à son sujet qu'un ange passe ? Mais venu d'où ? Et pour aller où ?